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Relancer l’industrie en France : concilier l’inconciliable ?
Décideurs et observateurs s’accordent pour considérer la relance post-confinement comme une phase de transition cruciale et accélérée vers un changement de fond, déjà initié avant la crise sanitaire. Comme l’a dit Philippe Dessertine, économiste historien, lors de son intervention « la Covid est un accélérateur de l’histoire ».
Comment accompagner les entreprises françaises dans le changement de modèle ? Ont-elles les outils, les compétences et les capacités pour relancer l’industrie dans nos territoires ? La législation française, est-elle être un frein ou peut-elle être le moteur d’une (re)industrialisation responsable ?
Pour apporter des éléments de réponse, la FIPEC a réuni deux élus, une experte environnementale et un industriel, porte-parole des adhérents de la FIPEC. Thierry Guerrier, journaliste, a animé les débats.
De gauche à droite :
- Christophe Sabas, CEO Groupe Beckers, adhérent SIPEV - « On ne fait pas confiance aux industriels »
- Roland Lescure, Président de la Commission des Affaires Economiques, Député LREM - « Je fais confiance et je responsabilise les acteurs pour contribuer au bien commun »
- Marta de Cidrac, Rapporteuse de la loi Agec, Sénatrice LR - « Nous devons prendre cette période comme une opportunité pour se réinventer collectivement »
- Sylvie Gillet, Responsable du Pôle Biodiversité, spécialiste de la santé et de l’environnement d’EPE (Entreprises pour l’Environnement) - « Rappelons que c’est la pression sur les écosystèmes qui a fait subvenir cette crise mondialisée »
Guillaume Frémaux, Président de Haghebaert & Frémaux, Président Adjoint de la FIPEC et Président de la Commission Affaires Publiques, fait partie des 10 chefs d’entreprise avec qui Roland Lescure s’est entretenu durant le confinement. Ces échanges réguliers avaient pour but de confronter les projets politiques à la réalité du terrain avant de les valider. DÉBATS
La fiscalité, le droit du travail, la politique environnementale, sont les 3 freins français. Le protectionnisme inégal entre continents et la concurrence déloyale sont les freins européens.
« J’identifie deux niveaux de freins, français et européens. En France, la fiscalité, c’est-à-dire les impôts de production, est totalement injuste car dissociée de la notion de profitabilité. Le droit du travail trop dense est un vrai frein à la réindustrialisation. Le tout écologie est aussi un problème. On ne fait pas confiance à l’industriel. (…/…). Certes, nous ne sommes pas parfaits mais des efforts considérables ont été faits. (…/…) La Covid a mis en exergue ces problèmes de manière dramatique. Le plan de relance de 100 Md€ est très courageux mais il ne doit pas être qu’un plan Covid, il doit être pérenne. La Covid n’est pas le seul problème, il n’est qu’un accélérateur », Christophe Sabas.
Soutenir l’industrie à mieux faire et plus facilement pour relancer l’industrie, soutenir la formation, travailler ensemble >> plan de relance, loi Pacte, loi Asap.
« La Covid a été un accélérateur de tendances, mais aussi de prises de décision. Avec le Plan de relance, nous avons voté des mesures exceptionnelles par leur ampleur, leur violence comme l’arrêt de l’économie, mais aussi généreuses comme la socialisation des salaires. (…/…) Le Plan de relance doit réorienter l’économie française vers les défis de demain : l’innovation, la transition écologique et la réindustrialisation. La période de transition sera forte, parfois même violente. L’Etat n’est pas là pour ajouter des conditions aux aides apportées mais aider, accompagner les entreprises pour que les employés puissent épouser l’industrie de demain plutôt que de souffrir de la décroissance de l’industrie d’hier », Roland Lescure.
« Le plan à 100 Md€ est un plan d’investissements avec une accélération des aides pour la formation et l’apprentissage, la rénovation thermique des bâtiments (près de 7 Mds€) par exemple. Sur les impôts de production, vrai sujet de compétitivité, le gouvernement s’engage sur une baisse de 10 Mds€ sur 2 ans. Ces investissements permettent de projeter la France », Roland Lescure.
« La seule question du coût ne suffit pas pour s’en sortir. Le monde économique a besoin d’une certaine stabilité législative. Nous, législateurs, devons avoir cette acuité », Marta de Cidrac.
« Ces derniers temps, nos politiques sont courageux. Mais, les industriels ne doivent pas dépendre des élections. Nous ne devrions pas être obligés de nous battre en permanence », Christophe Sabas.
« Quelles que soient nos couleurs politiques, nous partageons tous les mêmes objectifs : nous voulons que notre pays s’en sorte. Les désaccords peuvent exister sur les moyens à mettre en œuvre. Il y a beaucoup de points du Plan de relance qui vont dans le bon sens mais reste à clarifier les objectifs environnementaux », Marta de Cidrac.
Réaménager les territoires (amélioration de l’habitat, numérique, mobilité) pour faciliter le travail et l’activité économique, aller plus loin dans la transition écologique au-delà de l’isolation thermique (soutenir le BTP et les industries autour, former).
« Trois grands éléments sont ressortis autour de la crise sanitaire : l’inégalité de l’hébergement, des conditions de télétravail et de mobilité. Ces axes liés à l’aménagement du territoire font partie de la relance économique et de la vision de notre pays. (…/…) Encourager le télétravail c’est favoriser l’économie des territoires en consommant plus localement. C’est aussi développer la rentabilité des salariés qui perdent moins de temps dans les transports. C’est aussi révolutionner sa manière de mieux vivre. Que disent les Français ? Nous voulons mieux vivre, mieux nous déplacer, mieux consommer. Cela rejoint nos préoccupations écologiques », Marta de Cidrac.
« Je suis extrêmement réservé sur la question du télétravail. (…/….) J’ai peur que cela se termine par moins d’emplois au profit de l’auto-entreprenariat. Et quid du lien affectif ? C’est un lien très important pour les syndicats et les négociations. Et puis chez les opérateurs ou laborantins par exemple, le télétravail n’existe pas », Christophe Sabas.
« Vous, industriels, notamment du BTP, avez un rôle à jouer dans l’aménagement du territoire. Le secteur du BTP doit être clairement identifié, aidé et encouragé. Il en va de la formation, de l’emploi du secteur et de tout le discours environnemental. Vous êtes des vecteurs d’innovation. Nous devons former nos jeunes vers ces métiers, nous en manquons », Marta de Cidrac.
Casser les silos au sein de l’entreprise et mettre en place des coalitions multiacteurs car la problématique aujourd’hui est la notion d’exposition croisée ; intégrer les enjeux de santé environnementale, notion récente pour exprimer la santé à la fois humaine et des écosystèmes.
« Le réseau d’entreprise EPE est signataire d’une tribune dans le Monde du 3 mai. La cinquantaine de très grandes entreprises, vos donneurs d’ordre, a souhaité montrer que leurs engagements environnementaux - décarbonation, protection de la biodiversité, économie circulaire - sont toujours d’actualité et ont déjà donné des résultats. Il n’y a donc pas besoin d’ajouter une louche de contraintes et de rappels à l’ordre », Sylvie Gillet.
« L’environnement est attrayant, pas punitif. C’est un moteur d’innovation et donc de compétitivité. Nous devons réfléchir à faire évoluer nos produits pour intégrer la notion de santé environnementale. L’OMS parle de One Health, une seule santé, c’est-à-dire la santé humaine et celle des écosystèmes », Sylvie Gillet.
« Je suis d’accord qu’il faut challenger les entreprises. Tous les industriels, ici présents, travaillent déjà avec des plans de réduction drastique de substances préoccupantes », Christophe Sabas.
« Aujourd’hui, ce n’est plus forcément la dose qui fait le danger, mais l’exposition croisée, l’exposome (…/…). Pour être compétitif, il faut anticiper et faire de la veille multi-experte, s’intéresser aux discours scientifiques. Il faut casser les silos et travailler en concertation, au sein de son entreprise et en formant des coalitions multi-acteurs. Le protocole sanitaire lié à la Covid a permis aux directions environnement de parler aux RH qui parlent aux R&D… Cela ne doit pas être un vain mot », Sylvie Gillet.
« La loi Anti-gaspillage et économie circulaire, dont j’ai été rapporteur, a posé de bonnes bases. Elle donne une véritable vision sur ce qu’il nous sera demandé demain, voire exigé par l’Europe et le Monde. Même si l’on est dans une période particulière, il ne faut pas lâcher la cause environnementale mais peut-être affiner un certain nombre d’échéances. (…/…) Il est aussi du devoir du politique de travailler avec les industriels. Aujourd’hui, soyons vigilants à ne pas fragiliser encore plus les secteurs déjà abimés par la crise », Marta de Cidrac.
« Il faut repenser la responsabilité sociale et environnementale dans la société. Durant 20 ans, la RSE en entreprise c’était des labels et des rapports. Aujourd’hui, toute entreprise, quelle que soit sa taille, est consciente de sa responsabilité. Avec la loi Pacte, nous avons introduit un nouveau statut, celui de société à mission, qui permet à une entreprise de déclarer sa raison d'être à travers plusieurs objectifs sociaux et environnementaux », Roland Lescure.
La concurrence étrangère déloyale est une réalité mais la crise sanitaire, qui a généré un plan de relance commun et une mise en commun de la dette, va-t-elle accélérer le changement de l’Europe ?
« La concurrence étrangère déloyale dénoncée est réelle. Etre libéral ne veut pas dire être naïf, ce que l’Europe a été. Aujourd’hui, je suis extrêmement fier que l’Europe ait annoncé une mise en commun de la dette, un plan de relance commun et la volonté de repenser cette concurrence juste et équitable, avec notamment le projet de contribution climat[1]. Il va gagner en acceptabilité auprès des 26 états et assurera un niveau de compétitivité plus fort », Roland Lescure.
« L’entrée de la chine dans l’OMC est pour moi très positif. Cela a permis à des millions de gens de sortir de la pauvreté, de pacifier les relations internationales et de créer des défis. En revanche, nous avons été insuffisamment exigeants avec la Chine sur les normes environnementales et sociales. Des entreprises se retrouvent donc en situation de concurrence déloyale. La fusion Alstom / Siemens a été refusée pour des questions de concurrence interne. Cette décision montre que l’Europe a une vision de la pression concurrentielle un peu dans le rétro », Roland Lescure.
« Tout est dans le New green deal européen. Il doit être notre base. Il convient de s’aligner sur ses dispositions, qui vont loin et qui sont fortes », Sylvie Gillet.
« J’entends beaucoup de choses sur le travail. Mais je n’entends pas le mot entreprise, c’est tout pour le consommateur. C’est également le problème pour moi de l’Union européenne. C’est tout pour la protection du consommateur », Christophe Sabas.
« Je souhaite que l’on continue à développer le modèle français, européen, un capitalisme assumé où l’on fait confiance aux entreprises mais on régule de manière à ce que les biens communs soient complètement intégrés. C’est ensemble que l’on sortira de cette crise, en France et en Europe », Roland Lescure.
« Face à ces orientations, économiques, sociales et environnementales, en France comme à l’international, nous pouvons concilier l’inconciliable. Reste à améliorer le dialogue et le timing », Jacques Menicucci, Président de la FIPEC interview
« En mandarin, l’étymologie du mot crise vient de wei qui signifie danger et ji qui signifie la chance, l’opportunité… », Sylvie Gillet.
« Mon message clé, c’est l’entreprise, l’entreprise, l’entreprise. Nous sommes une entité, nous nous battons, nous connaissons notre responsabilité vis-à-vis de l’environnement », Christophe Sabas. interview
« Il faut faire en sorte que l’entreprise du 21e siècle soit au cœur du développement économique, social et environnemental de la France. C’est le sens de la loi Pacte. Ce sont des mesures de libération. Vous, entreprise, vous êtes un acteur responsable de la société. Sans vous, nous ne réussirons pas la transition environnementale. Sans vous, nous ne réduirons pas les écarts de salaires. (…/…) Nous sommes tous dans le même bateau. Il faut passer du donnant/donnant au gagnant/gagnant », Roland Lescure.
« Nous devons être vigilants, faire attention aux normes et aux réglementations, pour être concurrentiel. Je lance un appel : soyez présents dans le débat, faites savoir ce que vous souhaitez en gardant l’objectif environnemental qui est incontournable. On n’est pas en contradiction, on doit être tous attentifs à la logique des uns et des autres », Marta de Cidrac.
[1] La Contribution Climat Energie (CCE), instaurée par la loi de finance 2014, est une mesure fiscale visant à donner un prix au carbone. L’objectif est de rendre les énergies fortement carbonées plus onéreuses de manière à en limiter les usages.